On pressent que la « révolution IA générative » va à terme jouer un rôle central dans la redéfinition des pratiques de veille stratégique et technologique. Dans ce nouveau Netsources, nous vous emmenons au cœur de cette métamorphose naissante.
Deux des experts reconnus de la veille en France, Mathieu Andro et Corinne Dupin, ont mené une nouvelle étude du marché des plateformes de veille. Nous sommes heureux d’ouvrir ce numéro avec leur analyse approfondie de l’enquête 2024. Leur étude révèle l’intégration croissante de l’IA dans ces systèmes, qui laisse présager une refonte en profondeur du modèle traditionnel du cycle de la veille.
La révolution de l’IA s’étend également au champ cognitif, démocratisant l’accès à la connaissance. Par exemple, dans le domaine scientifique, Aurélie Vathonne démontre comment de nouveaux outils dopés à l’IA permettent désormais à des veilleurs généralistes de s’immerger dans des domaines complexes, brisant ainsi les barrières d’entrée au savoir scientifique (« Comment se saisir avec pertinence de l’information scientifique lorsqu’on n’est pas scientifique ? »).
Par ailleurs, l’article « Perplexity, le couteau suisse de la découverte d’informations et de la curiosité » analyse l’évolution de ce moteur de réponses hybride, combinant les forces d’un moteur de recherche traditionnel et d’un agent conversationnel. Perplexity incarne cette nouvelle génération d’outils visant à réduire l’incertitude et à fournir des réponses claires, tout en suscitant des débats éthiques sur l’utilisation des sources et la propriété intellectuelle.
Enfin, nous aborderons une question rarement traitée, mais présente dans tous les esprits : «Faut-il optimiser ses prompts en fonction de chaque modèle d’IA ?». Cette interrogation souligne notre prise de conscience des enjeux liés à la personnalisation de nos interactions avec les modèles d’IA, afin d’en tirer le meilleur parti. Nous verrons également comment l’IA offre au veilleur/analyste généraliste de nouvelles perspectives en termes d’immersion dans des champs de connaissance qui lui étaient jusque-là inaccessibles.
Rappelons quand même que l’IA générative, même nourrie des meilleurs prompts et d’investissement personnel, reste un outil qui amplifie l’expertise humaine plutôt qu’un substitut à la réflexion critique et à l’expertise métier.
En 2022, nous avions déjà mené une première grande enquête sur les plateformes de veille. Elle avait fait l’objet d’un numéro spécial de la revue I2D.
Depuis cette date, le marché s’est transformé avec l’intégration de Digimind dans Onclusive (juillet 2022), les rachats successifs par Chapsvision, après celui de Bertin (AMI EI) en juin 2021, de QWAM (mars 2023) et Geotrend (juin 2023) et de plusieurs autres acteurs de l’OSINT, de la traduction ou de l’analyse de données, ou encore l’acquisition d’Iscope par KB Crawl en février 2024.
En parallèle, et depuis 2020, d’autres acteurs, plus petits et aux publics plus confidentiels, sont apparus sur le marché des éditeurs de veille, avec des solutions souvent boostées par l’intelligence artificielle. Le recours croissant aux technologies d’IA a considérablement accéléré la transformation des technologies de veille.
Il était donc devenu nécessaire d’actualiser notre enquête.
Mathieu Andro est Animateur du réseau de veille des Services du Premier ministre
Corinne Dupin est Consultante et formatrice au sein du cabinet Ourouk
Pendant assez longtemps, la veille business et la veille scientifique et technique ont constitué des champs tout à fait distincts avec des compétences et ressources spécialisées bien définies pour les piloter, ainsi que des objectifs, des méthodes, des outils et des sources propres.
Puis la mise en place de plus en plus courante de veilles dites « innovation » a commencé à brouiller les frontières, mêlant informations concurrentielles et technologiques, et l’on constate que les spécialistes de la veille au sein des départements marketing et R&D de grands groupes travaillent étroitement ensemble pour fournir leurs analyses stratégiques au top management.
La veille IST a longtemps nécessité un véritable background scientifique et technique dans un domaine spécifique, quel qu’il soit (matériaux, énergie, agro-alimentaire, etc.), pour pouvoir exercer ce rôle efficacement. Pourtant, comprendre non seulement la pertinence, mais aussi l’apport de certains travaux scientifiques ou d’articles techniques n’est plus mission impossible pour celui qui n’est pas du sérail, et ce grâce au développement récent des outils d’intelligence artificielle qui changent la donne.
Bien sûr, un veilleur « généraliste » ne pourra jamais se hisser au niveau d'expertise d’un ingénieur spécialiste, mais l’IA va lui permettre en revanche d’élever sa compréhension des documents sans avoir de bagage spécifique et sans connaître tout le vocabulaire scientifique et technique spécialisé.
À l’arrivée de ChatGPT, nous avons vu fleurir sur le web et les réseaux sociaux une quantité de conseils sur l’art subtil de la formulation des prompts. On a vu également émerger une multitude d’outils et de bibliothèques de prompts prêts à l’emploi, souvent payants, adaptés à divers secteurs et types de questions (cf. FOCUS IA : maîtriser et gérer ses prompts - BASES no421- Janvier 2024). Cette révolution IA a même donné naissance à un nouveau métier : le prompt engineering, qui semble se professionnaliser de plus en plus.
Rappelons au passage qu’un prompt (ensemble d’instructions ou encore d’invites) est adressé à un modèle de langage (LLM) via une interface utilisateur, qui peut prendre la forme d’un chatbot (interface conversationnelle) pour générer des réponses ou des contenus spécifiques. Par exemple, Open AI a développé le modèle GPT (avec ses déjà nombreuses versions) et a mis à disposition des utilisateurs le chatbot ChatGPT.
Ces conseils et outils se concentrent principalement autour de ChatGPT, ce qui ne surprend pas au regard de la large et rapide démocratisation de l’IA générative qu’OpenAI a su orchestrer : il était urgent de fournir un « mode d’emploi » pour utiliser efficacement ce chatbot.
Cependant, une question fondamentale demeure : peut-on utiliser les mêmes prompts pour tous les modèles d’IA établis sur le marché (outre GPT : Gemini, Claude, Mistral, Llama principalement) ? Par exemple, Claude répond-il de manière aussi satisfaisante à un prompt conçu pour ChatGPT ?
Perplexity se définit comme un «moteur de réponses» innovant, combinant les fonctionnalités d’un moteur de recherche traditionnel avec celles d’un agent conversationnel alimenté par l’IA : une sorte d’hybride entre ChatGPT et Google Search.
Son ambition affichée est de concurrencer Google sur le marché de la recherche en ligne, en proposant une approche radicalement différente : plutôt que de fournir une simple liste de liens, Perplexity génère des réponses textuelles rédigées en s’appuyant sur des sources d’information récentes, variées et toujours indiquées en référence par l’outil.
La start-up californienne fondée en 2022 par un ancien d’Open AI, a rapidement attiré l’attention des investisseurs, atteignant une valorisation d’un milliard de dollars en 2024.
Le nom «Perplexity AI» fait référence à la notion de perplexité en théorie de l’information, qui mesure l’incertitude, mais il est utilisé ici de manière inverse. L’objectif de Perplexity AI est de réduire l’incertitude (ou la perplexité) des utilisateurs en fournissant des réponses claires et précises, transformant ainsi la haute perplexité en basse perplexité dans le domaine de la recherche d’information.
Pour fonctionner, Perplexity extrait les données d’internet au moment où la question lui est posée, de sorte que les réponses sont réputées être toujours à jour. Il s’appuie ensuite sur plusieurs modèles de langage, le sien propre mais aussi celui d’OpenAI, le modèle open source Llama de Meta ou encore Claude 3, pour produire ses réponses. De plus, il propose des questions connexes à la requête initiale (rappelant un peu les requêtes suggérées de Google), permettant ainsi d’affiner progressivement la recherche.
L’accès peut se faire sans obligation de créer un compte, via le site web de l’application ou une application mobile, avec fonction de recherche vocale disponible sur iPhone. Il existe enfin une extension Chrome qui permet d’y accéder à partir de n’importe quelle page web, de lui faire résumer la page ou répondre à des questions sur ce qu’elle contient.