L’infobésité des sources est un défi de plus en plus difficile à gérer, pour un veilleur comme pour tout un chacun. L’une des pistes possibles pour en sortir passe par une méthode de « mise en veilleuse » basée sur l’intelligence des sources que nous développons dans cet article.
Les veilleurs, même s’ils s’appuient toujours sur une sélection de sources et qu’ils s’évertuent à extraire des signaux et du sens au milieu du brouhaha ambiant, n’échappent pas à l’infobésité actuelle.
Il y a toujours plus de sources potentiellement pertinentes, toujours plus de contenus pertinents et d’outils pour repérer ces sources et ces contenus. Sans compter que nombre de ces sources et outils rajoutent sans cesse de nouvelles contraintes techniques à prendre en compte, ce qui se révèle souvent chronophage.
Ainsi, malgré nos efforts pour revoir les processus et les sources régulièrement, une veille, quelle qu’elle soit, a vite fait de demander de plus en plus de temps, mois après mois et année après année sauf si le sujet qu’elle traite tombe en désuétude.
Et il y a toujours cette angoisse de passer à côté d’une information vraiment importante qui viendrait jeter le discrédit sur la qualité de la prestation de veille dans son ensemble et les compétences du veilleur. On a alors vite tendance à tomber dans une quête d’exhaustivité que l’on sait pourtant vaine.
Pourtant, on ne le sait que trop : « trop d’info tue l’information » et on prend le risque de ne même plus voir une information clé qui est pourtant sous nos yeux.
Il faut réussir à refaire place nette et se recentrer sur l’essentiel en séparant les sources clés de celles de second plan.
Les sources clés, ce sont celles qui sont les premières ou les seules à publier les informations qui nous intéressent ou encore celles qui sont hyper-spécialisées sur les thématiques qui nous intéressent. Ce n’est pas pour rien que l’on parle tant de la réussite de certains médias professionnels ces dernières semaines (voir l’article des Échos « Les “pure players” de l’information professionnelle tirent leur épingle du jeu »). Ces médias s’adressent à un public restreint dont ils connaissent les besoins informationnels et proposent des contenus à haute valeur ajoutée que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
Les sources de second plan sont celles dont on ne sait pas toujours quoi faire. Ce sont les sources qui ne méritent pas qu’on les efface complètement de son dispositif de veille, mais qui, pour de multiples raisons, ne méritent pas non plus de figurer au cœur du dispositif et de bénéficier d’une surveillance constante.
C’est à ces sources, qu’il faut savoir mettre « en veilleuse », que nous avons choisi de nous intéresser aujourd’hui. Comment sélectionner ces sources de veille de second plan ? Où les met-on ? Et comment leur donner quand même une place dans son processus de veille ?
Avant de nous intéresser à ces sources de second rang, il est important de les repositionner dans le contexte ambiant d’infobésité. En effet, si nous avions un volume raisonnable de sources et de contenus et du temps à leur consacrer (comme cela a pu être le cas par le passé), cela ne poserait que peu de problèmes de mettre sous surveillance toutes les sources que l’on a pu repérer lors de son sourcing. Mais le contexte est aujourd’hui tout autre.
Dans le monde de la Tech et plus généralement sur le Web, on lit de plus en plus que l’infobésité ambiante oblige les internautes à revoir leurs pratiques informationnelles quels que soient leur métier et leur secteur d’activité et qu’il vaut mieux sélectionner l’information en amont.
On citera par exemple cet article académique en open access « Critical Ignoring as a Core Competence for Digital Citizens » paru dans la revue Current Directions in psychological science, ou cet article de The Conversation « When critical thinking isn’t enough: to beat information overload, we need to learn “critical ignoring” » , qui nous expliquent que, pour naviguer dans le monde de l’information digitale, l’esprit critique par rapport aux contenus qui nous arrivent n’est plus une condition suffisante. Il faut apprendre à ignorer, filtrer l’information avant même qu’elle ne nous arrive.
« L’ignorance critique est la capacité à choisir ce qu’il faut ignorer et/ou investir ses capacités attentionnelles limitées. Ignorer de manière critique, c’est plus que ne pas prêter attention, c’est pratiquer des habitudes saines et attentives face à la surabondance d’informations. » The Conversation
On citera également l’excellente newsletter de Marie Dollé, In Bed with Tech, qui proposait récemment une édition « Filtrer le bruit ou l’art de l’omission stratégique » , où elle évoquait cette question :
« “La curation ne réside pas dans l’accumulation, mais dans l’art du non-choix. Ce qui compte vraiment, c’est la cohérence globale de ce qui est retenu”. Ce passage du FOMO (fear of missing out) au NOMO (necessity of missing out) est peut-être la clé d’une gestion de l’information plus saine et plus consciente à l’ère de l’infobésité. Le NOMO, dans son essence, n’est pas une privation, mais une délivrance. Choisir, c’est accumuler. Omettre, c’est se libérer. »
En tant que veilleur, on pratique, sans le nommer ainsi, l’« ignorance critique » ou l’« omission stratégique » depuis toujours. Faire du sourcing, n’est-ce pas tout simplement une forme d’« omission stratégique » ?
Mais il est possible que l’évolution des pratiques et des outils nous en éloigne avec les années, et que la peur de passer à côté d’une information importante nous pousse à accumuler plus de sources que nécessaire.
Cette évolution n’est d’ailleurs pas le propre des humains veilleurs, c’est aussi une tendance qui s’observe dans les outils utilisés.
Pendant longtemps, le plus dur pour les professionnels de l’information n’était pas de faire le tri parmi les sources et les informations. C’était tout simplement d’en trouver. L’information était rare, les sources aussi, et ces dernières n’étaient pas toujours simples à identifier.
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