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Dark et Shadow Social : nouvelles frontières de la veille

Carole Tisserand-Barthole
Bases no
422
publié en
2024.02
3163
Dark et Shadow Social : nouvelles frontières de la veille Image 1
Dark et Shadow Social : nouvelles frontières de la veille Image 1

En septembre dernier, nous évoquions la question de la veille sur les réseaux sociaux, qui depuis le déclin de X (Twitter) devient de plus en plus fragmentée (cf. La veille sur les réseaux sociaux s’annonce de plus en plus fragmentée, BASES n°417, Septembre 2023). Si cette question subsiste et continue à rendre la veille sur les réseaux sociaux toujours plus complexe et chronophage, ce n’est pas la seule difficulté à laquelle est aujourd’hui confronté le veilleur.

L’autre dimension à prendre en compte, c’est l’essor du dark social depuis quelques années et du shadow social, nouvelle tendance théorisée par Marie Dollé en ce début d’année.

C’est un fait aujourd’hui bien documenté, les internautes partagent de moins en moins de contenus de manière publique sur les réseaux sociaux et ont plutôt tendance à se reporter sur des espaces plus restreints composés de leurs proches, cercles d’amis ou communautés qui se rassemblent autour d’intérêts communs.

Sur les réseaux sociaux, il existe donc des espaces privés et fermés que l’on appelle le dark social et des espaces à mi-chemin entre le public et le privé que Marie Dollé appele le shadow social et qui ne cessent de prendre de l’ampleur.

On aurait tort de se priver de cette face cachée des réseaux sociaux pour sa veille et ses recherches d’information. Mais comment identifier ces espaces et les intégrer à sa veille ?

Lire aussi : 

La veille sur les réseaux sociaux s’annonce de plus en plus fragmentée (09/2023)

Comment utiliser Discord pour ses veilles et ses recherches ? (09/2023)

Veille Instagram : quoi, comment, pour quoi faire ? (06/2022)

Réussir à utiliser LinkedIn pour la veille et la recherche d’information (06/2022)


Que sont le dark social et le shadow social ?

Le dark social

Qu’on se rassure, le dark social n’a rien à voir avec le dark web et d’éventuels contenus et pratiques illicites. La comparaison est plutôt à chercher du côté du Web visible et invisible et sa fameuse image d’iceberg, car le dark social représente la partie immergée et donc invisible des réseaux sociaux.

Le dark social, ce sont donc ces espaces privés sur les réseaux sociaux où les internautes communiquent, partagent des contenus, mais qui ne sont pas référencés par les moteurs de recherche Web ou internes aux réseaux sociaux et sont donc invisibles aux non-membres.

Cette tendance peut s’expliquer par plusieurs facteurs : une quête d’authenticité, un plus grand besoin d’intimité, une fatigue des attaques et clashs incessants sur les réseaux sociaux, une réaction face à l’infobésité et au burn-out informationnel. Les Anglo-saxons parlent ainsi du passage d’un concept de One-to-many où une personne s’adresse à une très large audience publique à celui de One-to-one ou One-to-few avec des contenus et du partage d’information destinés à une personne ou un petit groupe d’individus.

Dans un récent article de Business Insider intitulé « Great news - social media is falling apart », le journaliste illustre parfaitement cela en expliquant que « nous sommes passés d’un Internet qui ressemblait à une sortie au centre commercial à un Internet plus semblable à une soirée entre amis. »

Déjà en 2017, une étude réalisée par la plateforme de publicité programmatique RadiumOne annonçait que 84 % des partages que font les consommateurs « se font maintenant sur des canaux sociaux privés comme les e-mails et les messageries instantanées ». Si le chiffre peut paraître très élevé (la même année, Talkwalker avait mené un test similaire et estimait que 20 % du trafic vers leur site venait du dark social), il n’en reste pas moins qu’il existe bien une face cachée des réseaux sociaux et qu’elle ne cesse de prendre de l’ampleur.

À l’été 2023, Adam Mosseri, qui est à la tête d’Instagram, expliquait dans une interview que le flux public des internautes était devenu secondaire et que c’était la messagerie (surtout) et les stories (dans une moindre mesure) qui étaient le moteur de croissance d’Instagram depuis au moins cinq ans.

Le dark social est donc aujourd’hui le fonds de commerce des réseaux sociaux et il y a toutes les chances d’y trouver des pépites informationnelles. Mais il ne faut pas négliger non plus le shadow social.

Le shadow social

Le concept de shadow social est quant à lui plus récent et s’annonce comme une des tendances de 2024. La première fois que nous l’avons vu apparaître c’était dans la newsletter Futur(s) sous la plume de Marie Dollé. Elle décrit le shadow social comme « un espace hybride situé entre le public et le “dark social”. Le shadow social représente une évolution significative dans notre manière de percevoir l’identité et les relations en ligne, équilibrant le privé et le public, l’individuel et le collectif. Il se positionne comme une réponse stratégique au content shock croissant, exacerbé par l’augmentation des contenus générés par l’IA. Plus encore, il représente pour les plateformes sociales une opportunité de stimuler l’engagement au sein de leurs écosystèmes. »

Elle cite en exemple les Broadcast Channels sur Instagram qui permettent des échanges directs entre les créateurs de contenus et leurs abonnés ou encore les articles collaboratifs sur LinkedIn et leurs commentaires. On est alors plus proche du « one to few » évoqué plus haut dans cet article.

Dans la même veine, on pourra également penser au lancement récent des chaînes WhatsApp qui prennent beaucoup d’ampleur notamment au niveau des médias ou encore aux nouveaux canaux de diffusion récemment lancés sur Facebook et Messenger.

Et même si c’est moins évident, on pourrait inclure dans le monde du shadow social les newsletters, qui sont de plus en plus prisées : Il s’agit en effet d’espaces semi-privés (qu’il faut réussir à identifier et auxquels il faut s’abonner pour visualiser le contenu), avec une personne qui s’adresse à une communauté restreinte. De plus, les newsletters ont des frontières poreuses avec les réseaux sociaux qui avaient développé pour la plupart des systèmes de newsletters intégrés (GetRevue sur Twitter par exemple), mais ces fonctionnalités ont plutôt tendance à disparaître. Parallèlement, les plateformes de newsletters se transforment peu à peu en réseaux sociaux dédiés aux newsletters : Substack a par exemple développé son propre réseau social appelé Substack Notes.

Attention : Si le développement du shadow social semble être une des tendances de 2024, ce n’est pas pour autant complètement nouveau. Les groupes privés/sur invitation des réseaux sociaux existent depuis des années, mais ont pour la plupart périclité pour devenir des espaces publicitaires et d’autopromotion : Telegram propose des chaînes depuis déjà plusieurs années, les serveurs Discord existent aussi depuis un moment mais gagnent en popularité, etc.

Les nouveaux produits et fonctionnalités que l’on voit apparaître ces derniers mois, révèlent un glissement d’un schéma d’espace communautaire composé d’un petit groupe de personnes où chacun peut s’exprimer, vers une communication à sens unique où une personne communique vers une audience restreinte. Les membres sont limités à des rôles de lecteurs et peuvent au mieux réagir avec des emojis comme c’est le cas sur les chaînes WhatsApp par exemple.

Les espaces de shadow social donnent finalement l’impression de faire partie d’un club un peu sélect. Certains restreignent même volontairement le nombre de membres, c’est par exemple le cas de la newsletter Pygmalion (https://pygmalion.club/#pricing) qui est limité à 200 abonnés (au-delà, les gens sont sur liste d’attente et patientent jusqu’à ce que quelqu’un se désabonne).

Quelle répercussion pour la veille ?

Faire de la veille sur le Web, c’est réussir à identifier les meilleures sources et les informations en lien avec ses thématiques. On sait depuis toujours que ces sources et informations sont en partie sur le Web invisible, mais on réalise désormais qu’elles peuvent se trouver dans des espaces de dark social  ou de shadow social qui prennent une place de plus en plus importante dans le paysage.

On a tout intérêt à investiguer dans cette direction pour ses veilles et ses recherches, mais comment réussir à identifier ces espaces qui n’ont pas pignon sur rue, s’y faire inviter quand l’espace nécessite une validation et comment les mettre sous surveillance ? Tout en sachant qu’ils ne sont généralement pas inclus dans les outils de recherche et de veille classiques et pas nécessairement indexés par les moteurs de recherche ou en tout cas peu valorisés.

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